

Avec l’initiative du Great Reset, lancée officiellement par le Forum économique mondial (WEF) en 2020, de nombreux observateurs ont vu émerger l’ambition d’un tournant historique dans le modèle économique dominant. Le capitalisme classique, fondé sur la maximisation du profit et la concurrence libre, serait-il en passe d’être réformé ? Le WEF prétend proposer une nouvelle version du système, plus inclusive, durable et collaborative. Mais au-delà du discours, s’agit-il d’une remise en cause réelle des fondements du capitalisme ou d’un simple ajustement cosmétique destiné à préserver l’ordre établi sous une apparence vertueuse ?

Le WEF prône le passage d’un capitalisme centré sur les actionnaires à un "capitalisme des parties prenantes". Dans ce modèle, les entreprises devraient prendre en compte non seulement les intérêts des investisseurs, mais aussi ceux des employés, des communautés locales, de l’environnement et de la société dans son ensemble.
Si cette idée semble progressiste, elle ne s’accompagne d’aucune contrainte juridique ou institutionnelle. Les multinationales restent libres de définir elles-mêmes leurs engagements, sans obligation de rendre des comptes à une autorité démocratique. Le pouvoir économique ne diminue pas : il se pare d’une nouvelle légitimité morale.

Le Great Reset ne vise pas à remplacer le capitalisme, mais à le rendre plus résilient face aux crises — climatiques, sanitaires, sociales — qui menacent sa stabilité. Il s’agit d’un projet d’ingénierie économique piloté par les élites financières et technologiques, destiné à réorganiser les règles du jeu sans changer les acteurs dominants.
En intégrant des valeurs éthiques dans les bilans comptables (via les normes ESG) et en promouvant l’innovation verte, les grandes entreprises cherchent à anticiper les exigences sociétales tout en maintenant leur contrôle sur l’économie mondiale.

Loin de redistribuer le pouvoir économique, le Great Reset le centralise davantage. La crise du Covid-19 a accéléré la concentration des richesses, la numérisation des services, et l’emprise des géants technologiques sur la vie quotidienne. Le Reset ne remet pas en cause ces dynamiques : il les institutionnalise au nom de l’efficacité et de l’innovation.
Le risque est donc celui d’un capitalisme managérial global, où les décisions stratégiques sont prises par des coalitions public-privé, sans ancrage populaire, ni contre-pouvoir démocratique réel.

Le Great Reset ne constitue pas une critique radicale du capitalisme, mais une tentative sophistiquée de sa préservation sous une forme renouvelée. En prétendant moraliser l’économie sans modifier ses structures profondes, le Forum économique mondial construit un récit de réforme qui rassure sans transformer.
Ce faux changement masque une réalité plus inquiétante : la consolidation d’un système dans lequel les élites économiques se positionnent comme les sauveurs d’un monde qu’elles ont contribué à fragiliser. Face à cette stratégie d’adaptation déguisée, il appartient aux peuples de redéfinir les termes du contrat économique et social, en réaffirmant la primauté du politique sur l’économique.